Histoire
I guess I'm always gonna be the bad child
I guess I'm always gonna be the mad childIl naît au creux de leurs bras, pas plus gros qu’un rat – s’il n’en a pas la nature, il en a au moins la carrure ! Sa mère ? Déception amère. Une lassitude crasse s’érige sur son visage, en conquistador de ses traits. La porcelainière voulait une fille après ses cinq garçons, une fille capable d’apprendre son art quand ses autres enfants se chargent de porter les objets créés. Une porcelaine, c’est délicat, cent porcelaines, ça pèse lourd. Il est impensable, improbable, qu’un mâle rustre par son sexe ait la délicatesse féminine pour la céramique translucide.
Et son père ? Il n'en pense pas moins. Si le tavernier traîne ses yeux globuleux sur le poupon, c'est pour le marquer de sa désillusion. D'avoir une fille, il s'en fout, ce qu'il voudrait c'est que madame son épouse cesse de lui casser les noisettes avec son héritière fantasmée.
Ses parents ne font pas dans la demi-mesure ; ils l'abandonnent dans un carton, à la rue, bercé par la loupiotte clignotante d'une devanture. C'est que le couple n'a pas les moyens de nourrir non pas une bouche mais des bras en plus. Ils réessayeront pour cette fille tant espérée et peu importe s'ils finissent par repeupler leur ville avec des garçons rejetés. Le bébé est fâché. S'il savait seulement que ce n'était que le début de sa guerre froide contre le reste du monde. Il pleure, il s'agite à l'ombre des réverbères brisés. Même la devanture a cessé de l'éclairer, le propriétaire est parti se coucher sans pointer le bout de son museau au-dessus du carton. À force de gesticuler, l'enfant attire l'attention d'un ramoneur. Puis de deux. Puis de trois. Bientôt ils sont une dizaine à quitter les toits. Et ils emportent le carton au bébé avec eux.
I can't get you out of my head
Girl, your lovin' is all I think aboutL'enfant gagne son starter pack de début d'existence ; on lui donne un nom, un logis, un métier. A dix ans, il est déjà ramoneur. Et il le sera toute sa vie, qu'on lui répète à Casper, jusqu'à ce que ses jambes ne puissent plus porter le poids de son corps. Il épousera une fille de ramoneur et aura des enfants ramoneurs. Et ça lui va, les filles sont jolies, les autres garçons sont loyaux.
Qu'est-ce qui pourrait se passer de si terrible ?
Peut-être...
Tomber amoureux ?
Ça lui prend sans qu'il puisse vraiment donner son avis.
Elle trottine derrière ses moutons, les lèvres étirées jusqu'aux fossettes. Elle n'est pas fille de ramoneur, en témoigne sa robe blanche vierge de poussière noire. Il ne s'en rend pas compte mais Casper sourit lui aussi.
Franchement.
Qui l'aurait cru.
Une bergère et un ramoneur...
Pour la première fois depuis des années paraît-il, Casper descend des toits. Il n'a plus l'habitude de ce sol droit alors il tangue un peu à la recherche d'un équilibre qu'il a déjà. Mais la canne d'un vieil homme lui cogne les mollets et interrompt l'osmose entre les deux jeune gens. Le grand-père de la bergère fulmine et malgré ses sourcils froncés qui arrivent à la taille de Casper, son aura dilapide ses espoirs. Sauf un morceau, un tout petit morceau que le ramoneur arrache à la confidentialité de
son sourire. L'aïeul emporte avec lui la bergère.
- On pourrait s'enfuir. - Pour aller où ?- Là où je pourrais construire une maison avec tes bras et un toit avec ton sourire.Ils ont fui, geste fou d'une passion dévorante. L'amour c'est beau quand ça crépite.
Beaucoup moins quand ça s'éteint.
Elle quitte Casper après trois ans à vivre entre deux mondes ; ni sur les toits ni sur le sol afin que ni les ramoneurs ni les bergers ne les retrouvent. Une vie à voguer au cœur de la mer.
Il marche sur le pavé brillant à cause de la pluie. Ou est-ce à cause de son regard embué par ses larmes ? Qu'importe. Il fait froid dans les rues. Casper doit rentrer chez lui, dans une petite maison avec une petite cheminée bien loin de celles qui l'ont vu grandir. Les gens autour sont pressés de retrouver leurs enfants mais ignorent pourtant la petite fille qui vend ses allumettes, là, assise contre le crépis d'un mur. Elle interpelle un passant, puis deux, puis trois, jusqu'à appeler Casper. Il l'entend mais ne la regarde pas.
Chacun sa merde, pense-t-il avec aigreur.
Le ramoneur est chez lui.
Dehors, la pluie s'est transformée en neige qui tombe jusqu'à recouvrir la chaussé d'un manteau blanc.
Casper s'agite dans son lit. Il se tourne et se retourne sans parvenir à trouver le sommeil car il pense à la petite fille aux allumettes. Sa colère est retombée et la culpabilité le saisit à la gorge. Oui, il pense à cette enfant et lorsqu'il s'endort finalement, c'est pour mieux la retrouver dans ses rêves.
Alors, dès le lendemain, le ramoneur retourne la voir. Il espérait la retrouver mais pas comme ça.
Les passants sont agglutinés autour d'un petit corps mort de froid. Un sourire étire ses lèvres figées pour l'éternité.